Electricité : la douloureuse du marché européen
A en croire la vulgate qui tient lieu de prêt à penser, la
concurrence est une invention merveilleuse qui permet de faire baisser
les prix. Pourtant, lorsque ce dogme est appliqué dans le domaine de
l’électricité, le résultat est inverse. Les prix flambent. Voilà qui
mérite une petite explication afin de comprendre une histoire digne du
père Ubu.
Demain mercredi, l’Assemblé nationale devrait
entériner la Nouvelle Organisation du Marché de l’Electricité (dite loi
Nome). Actuellement, malgré les différentes hausses, EDF produit
l’électricité la moins chère d’Europe. Les opérateurs privés qui se
sont lancés sur le marché (comme Poweo, GDF Suez ou Direct Energie) sont
incapables de s’aligner sur les prix proposés par l’entreprise
publique. Du coup, certains d’entre eux, notamment Poweo, sont loin
d’engranger les résultats financiers escomptés. Ils se lancent donc dans
une opération de chantage en bonne et due forme, afin de contraindre
EDF à leur accorder des conditions inimaginables pour n’importe quelle
autre entreprise.
Dans le cadre de la loi Nome, le gouvernement
entend contraindre EDF à vendre le quart de sa production d’électricité
d’origine nucléaire à ses concurrents à un tarif assez favorable pour
qu’ils puissent tailler des croupières à l’entreprise publique. Comme
l’écrit Le Figaro : « Pour les nouveaux entrants, c’est la « rente »
nucléaire de l’opérateur historique qui sera ainsi partagée ». La belle
affaire. Mais pourquoi faut-il qu’EDF offre tout ou partie de sa
« rente nucléaire » à ses concurrents ? Toujours dans Le Figaro, Denis
Florin, partner énergie au sein du cabinet BearingPoint, répond : « Si
aucun opérateur alternatif ne devait survivre, EDF se retrouverait dans
la ligne de mire de Bruxelles, accusée de ne faire aucune place à la
concurrence ».
Voilà qui en dit long sur l’aveuglement des
autorités de Bruxelles et de leurs supporters. En vertu des nouvelles
tables de la loi divine, les bons apôtres de la commission de Bruxelles
ont décrété qu’il fallait rayer les monopoles publics de la carte. Nul
ne sait au nom de quelle logique et de quelle efficacité, mais c’est
ainsi. Cela ne se discute pas.
En URSS, il fallait tout Etatiser.
Dans l’Europe néolibérale, il faut tout privatiser. Cela s’appelle la
« concurrence libre et non faussée ». Au nom de ces préceptes, le
marché de l’électricité a été dérégulé en 2007. Et comme cela ne suffit
pas, Bruxelles a sommé la France d’inventer la loi Nome, afin d’obliger
EDF à faire un peu plus de place à ses concurrents.
Evidemment, il
faudra bien que quelqu’un paie la note et le manque à gagner pour EDF.
Pas de surprise. Ce sera le consommateur. Les experts de la Commission
de Régulation de l’énergie (CRE) ont prévu une flambée des prix de
l’électricité de 11,4% après le vote de la loi, puis de 3,5% par an,
soit jusqu’à 25% d’ici à 2015. D’ailleurs, c’est un principe de base :
partout où le marché de l’électricité a été privatisé, les prix ont
augmenté.
Un esprit rationnel se demanderait pourquoi il faut
absolument chambouler un secteur fonctionnant sinon très bien, du moins
pas mal. Or c’est une question taboue. Quiconque ose la poser se fait
traiter au mieux de simplisme, au pire de souverainisme. On ne saura
donc jamais pourquoi la loi de la concurrence doit s’appliquer partout, y
compris là où elle n’a que des conséquences négatives.
source : Marianne